« Gérer ses émotions »
Ou comment s’en sortir avec une telle injonction ?
De plus en plus nombreux sont les patient.e.s qui consultent aussi en invoquant leurs difficultés ou impossibilités à « gérer leurs émotions » : ne plus se mettre en colère facilement, savoir maîtriser ses peurs voire ses crises d’angoisse, pouvoir atténuer les effets d’une injustice subie, ne plus craindre le regard des autres et même, affronter sereinement une rupture amoureuse !!!
Autant d’exigences vis-à-vis de soi qui touchent absolument tout le monde.
(Et plus encore les personnes considérées comme hypersensibles).
Mais que signifie donc cette nécessité de savoir gérer ses émotions ?
Et comment s’y prendre ?
Parce qu’après tout, une émotion, c’est quoi ?
« Gérer ses émotions » : un défi impossible ?
Le Larousse est sans appel : le verbe gérer signifie clairement administrer une fortune, un bien, conformément aux intérêts de celui qui les possède. On gère ou administre un commerce, une société, un stock de marchandises, des données chiffrées etc.
A bien se pencher sur les
différents dictionnaires de cette merveilleuse langue française, pas une seule association entre « gestion » et « émotions » !!
Du coup, penchons-nous sur cette même source pour étudier la définition de l’émotion :
« Réaction affective transitoire d’assez grande intensité, habituellement provoquée par une stimulation venue de l’environnement. »
Nos émotions sont donc les conséquences à des évènements externes difficilement anticipés qui provoquent des réactions spécifiques (physiques, affectives, …).
Demander alors à une personne de traiter ses émotions comme elle traiterait un stock de marchandises est une véritable aberration intellectuelle !
C’est un peu comme si on demandait à un être humain de faire du vélo avec ses mains et avec ses pieds et regarder devant soi sans jamais tomber.
Et pourtant, tous les jours, j’entends ces patients qui viennent me demander de les aider à « gérer leurs émotions ».
Une émotion, ça sert à quoi ?
Effectuez un petit jogging dans les bois. Butez contre une racine et tordez-vous la cheville.
Instantanément, la douleur ressentie informera votre système nerveux central que quelque chose dysfonctionne au niveau de la blessure.
Imaginez que nous ne ressentions rien. Nous continuerions notre course et augmenterions davantage la blessure.
Sans ce chemin neuronal, pas de lien entre mon corps et mon cerveau.
Et, de fait, pas de soin, pas de respect du corps.
Les émotions sont autant de signaux essentiels.
D’une part, elles me connectent à tout ce qui se passe dans mon corps (mon ventre, mes tripes, mon cœur). Et, d’autre part, elles me permettent de faire sens avec mon individualité, mes différences, le goût des choses, de la vie.
Sans elles, nous serions des robots certes infaillibles mais insipides, sans éprouver de joie, d’amour, de passions…
Ressentir, réagir face à différents évènements font que je me sais en vie, que je désire, que je peux même décider, rire ou pleurer.
Si nous sommes tou.te.s marqué.e.s par un modèle unique et uniforme des émotions c’est avant tout sur un registre sociétal emprunt de croyances et de codes implicites.
Cela ne se fait pas de réagir trop fort, trop mal, trop.
Cela ne se fait pas selon des représentations inculquées dès l’enfance.
On ne pleure pas, on se contrôle. Et, cette maîtrise de soi est devenue un objectif, LE bon modèle à suivre, à être.
Mais, comme tout modèle prédéfini, il est totalement conseillé de l’interroger voire de le remettre en question.
Qui a décidé que devant un film triste, nous nous devions de ne pas pleurer en public ?
Qui pose la légitimité d’une réaction plutôt qu’une autre ?
Et moi ? Suis-je obligé.e d’en garder le secret ? Finalement ?
Mon émotion, nos émotions sont un ensemble de la personne que je suis.
Tout comme ma migraine n’a pas à être dosée ou jaugée par autrui, mon émotion existe en tant que telle en harmonie avec ce que je suis, mon ressenti du moment.
Elle est légitime, parfaite et pleine de sens.
Je fais quoi alors ?
Pour commencer, vous arrêtez de traiter vos émotions comme des denrées alimentaires ou un budget mensuel.
Faîtes leur la place et reconnaissez les comme une part intégrante de votre personnalité, avec leur intensité.
Prenez le temps de les accueillir, savoir les nommer, les reconnaître véritablement avant de vouloir contrôler leurs effets.
Il ne s’agit pas de méditer ou tout intellectualiser mais davantage d’entrer en contacte avec elle (en pleine conscience).
Ce film m’a bouleversé.e et pas mon voisin de séance ? J’en ai encore le souffle coupé 20 minutes après ?
Et ?
Je prends le temps de recevoir, écouter, goûter ce moment.
Tout comme ma cheville enflée, il ne me viendrait pas à l’esprit de la nier ou de continuer à courir dessus « pour faire illusion », je prends ce moment pour considérer mon émotion.
L’accepter c’est faire un avec tout ce que je suis.
Puisque nous devons tout gérer dans nos vies, savoir accueillir et accepter ses émotions c’est autant de bénéfices pour soi dans sa propre connaissance de soi (et, donc, par extension, une meilleure estime et confiance).
Vivre son émotion, c’est garder le cap avec soi-même.
Je m’écoute, je me respecte et je me connais suffisamment bien pour davantage anticiper une fois prochaine si besoin (pourquoi retourner voir ce film par exemple…).
Vivre ou gérer ses émotions ?
A votre avis ?
Et si « être heureux » revenait à simplement laisser ses émotions exprimer nos véritables réactions ?
Libérons-nous de toutes ces injonctions sociales de gestion (du stress, de l’émotion, du bonheur) et acceptons aussi ce que tout notre corps, affect sont capables de nous donner
La paix avec soi favorise une véritable conscience de soi et un beau respect pour soi-même et les autres.