J’entends de plus en plus souvent mes patient.e.s évoquer l’absence de légitimité.
Le plus fréquemment, les arguments riment avec la notion de confiance en soi.
Et, tout aussi souvent, cette « légitimité » s’inscrit au plus profond de ce qu’ils ou elles ressentent d’eux ou d’elles-mêmes.
Cette « carence » est d’autant plus marquée chez de nombreuses femmes.
Comment comprendre ce sentiment d’illégitimité ?
Qu’en dit la psychologie ?
Peut-on considérer qu’il y ait un rapport entre légitimité et confiance en soi ?
Et, du coup, on en fait quoi ?
Petit tour d’horizon de la légitimité
Permettez-moi une petite disgression explicative…
Lorsque l’on se penche sur le sens premier de la légitimité, il se fonde textuellement dans le droit, la justice. Sa définition se réfère au droit naturel (« de ce qui est juste en soi ») à l’inverse du droit dit « positif » (le droit des lois écrites qui définit la « légalité »).
Si un système (de préférence démocratique) est légitime (au sens du choix consenti et éclairé des élites), il se doit d’apposer, à son tour, des règles et des lois qui suivent des directives justes, équitables sur des bases toutes aussi éthiques et morales.
On va ainsi considérer qu’une décision sera légitime selon différents critères come les circonstances, les personnes, les objectifs.
Pourtant, dans notre vocabulaire commun, la notion de légitimité est surtout connotée professionnellement.
On va ainsi penser qu’une personne est à sa place légitime selon un certain bagage (diplômes, expériences etc.). Il y aurait un rapport de cause à effets entre ce que je possède et ce que je suis.
Ces liens directs entre compétences, diplômes et autres sont les moyens de valider une place, un emploi, un rôle.
Ils soulèvent régulièrement la question de l’occupation de certains postes selon des critères jugés objectifs mais qui peuvent, sous certaines autres conditions, bien subjectifs
En effet, les métiers avec des titres protégés ne peuvent être occupés sans leurs obtentions (c’est le cas du métier de psychologue)
En continuant les recherches, est sortie une autre définition de la légitimité : celle des naissances dites « légitimes » issues d’une union reconnue par le groupe sociale via un rite comme le mariage.
Pur mélange entre nature et culture (quoi de plus légitime qu’une naissance ?), elle soulève la part du social dans les parcours pourtant libres et naturels entre deux adultes consentants.
Le concept de légitimité et la psychologie
En approfondissant la question de la légitimité en psychologie, ressortent des réflexions assez étonnantes.
Soit vient celle concernant la légitimité du psychologue en tant que praticien.ne. (ce qui en soit, a le mérite de faire grandir une science balbutiante et anciennement plutôt critiquée).
Soit émerge le débat sur la force des instances, croyances et autres sur ce qui est ou non légitime.
On pourrait alors en déduire que la légitimité est surtout culturelle. En effet, si je me réfère à mon groupe d’appartenance plus ou moins élargi pour me considérer ou juger quelqu’un de légitime, je serai forcément influencé.e par tout ce que porte mon groupe de référence (avec son lot de religion, repères et règles plus ou moins explicites).
Et, tout en restant au conditionnel, nous pourrions considérer que les référents à la légitimité ont plus à voir avec la psychologie sociale (et ses études des groupes) qu’avec la thérapeutique…
Pourtant, ce mot revient en boucle dans les séances.
Et, quand on fait des recherches plus poussées encore, peu de résultats concrets, scientifiques au sens premier du terme mais des séries complètes d’interrogations entre légitimité, confiance en soi voire imposture…
Mais, le terme n’est-il pas galvaudé de fait ?
Après tout, comme expliqué plus haut, la légitimité a d’abord un rapport avec « la loi » (bon, il nous faudrait lancer un grand débat philosophique sur la légitimité même de ces lois… !).
Pourtant, il s’agit bien de souffrances quand elle est évoquée. Donc, elle mérite d’être entendue et, même, traitée.
Je vais donc parler d’un sentiment de légitimité.
On s’attachera donc bien à la partie affective de la personne et pas seulement à une catégorisation en lien ni avec des codes ni l’espace professionnel.
Petite tentative de définition du sentiment de légitimité
Afin de bien distinguer la confiance, l’imposture et la légitimité, nous pourrions poser qu’avoir le sentiment d’être légitime ce serait se penser à la bonne place et (en empruntant un peu à la justice) dans son bon droit.
Je prendrai 3 exemples directement empruntés à des expériences partagées en séances :
– Vous êtes invité.e à un dîner. Tous les convives vous paraissent captivants, érudits.
Vous les écoutez et finissez par vous convaincre que vous n’avez rien d’aussi intéressant à dire, à apporter. Vous vous enfermez dans un silence poli mais qui vous plonge dans un absolu sentiment d’illégitimité à être parmi eux.
– Vous participez à une réunion avec d’autres parents au parc pendant que vos enfants jouent
un peu plus loin. Un des parents fait une remarque plutôt déguisée (mais que vous pressentez parfaitement comme désobligeante) sur votre enfant. Le groupe entier rit. Vous restez piqué.e mais, là encore, silencieux.se.
– Lors d’une réunion, votre chef.fe distribue les prochains dossiers à traiter. Vous êtes déjà
submergé.e (et votre chef.fe le sait pertinemment). Un.e de vos collègue refuse un des dossiers au prétexte qu’il ou elle n’aime pas ce genre de dossier. Vous non plus. Pourtant, c’est à vous qu’il sera donné parce que vous ne vous êtes pas positionné.e.
Dans ces 3 situations, après analyse, beaucoup évoqueraient le manque de confiance en soi.
Pourtant, le véritable point commun ici est bien dans le positionnement par rapport aux autres.
Dans l’exemple du dîner, ma patiente a « scanné » puis déduit les « niveaux » des autres présents sans jamais interroger sa valeur mais en évaluant celles des autres.
Pour la critique à peine dissimulée sur l’enfant, le rire du reste du groupe a envoyé un signal social : il y avait une sorte d’accord entre les membres du groupe. Ce qui remettait en question son propre positionnement vis-à-vis du groupe en cas de désaccord de sa part. (On comprendra plus tard que d’autres enjeux se jouent dans ce même groupe).
Et, enfin, pour la réunion, le positionnement rapide du ou de la collègue suivi d’un « je n’aime pas » rend toute forme de négociation compliquée entre postures professionnelles, reconnaissance par la hiérarchie et poser son « non » face à un « je n’aime pas ».
Le sentiment de légitimité n’est pas toujours lié au manque de confiance en soi (qui est aussi à réfléchir). Mais bien à sa difficulté à se positionner en se considérant en droit de le faire par rapport aux autres !
A la différence d’un système de lois qui décrète ce qui est ou n’est pas légitime, le sentiment de légitimité me fait me positionner comme en subordination aux différents groupes dans lesquels j’évolue. Je vais me juger et non plus analyser de façon bienveillante la situation dans laquelle je suis.
C’est parmi les autres que j’évalue (de façons totalement subjective) si je suis ou non légitime.
Aucun modèle, aucun code prédéfini mais bien un sentiment subjectif de la situation que je subis.
Le sentiment de légitimité serait donc ma propre appréciation de ma place et de mon droit à la prendre.
Outils et pratiques pour développer mon sentiment de légitimité
C’est ici que la psychologie en termes thérapeutiques intervient
Il est important pour développer ce sentiment de légitimité de repenser les places et positionnements que j’ai non seulement l’habitude de prendre mais aussi de donner à autrui.
Je peux le faire via l’analyse de mon histoire.
Grâce au travail sur soi-même, la meilleure compréhension de soi et surtout la meilleure appréhension de soi, je vais pouvoir prendre conscience de la valeur que je porte à mon environnement et à moi-même
Ce sentiment de légitimité se construit au travers de la qualité de nos attachements, eux-mêmes en évolution.
Ainsi, en me comprenant mieux, je peux activer des leviers spécifiques pour dépasser cette problématique.
Les outils thérapeutiques et ceux issus de la psychologie positive sont parfaitement adaptés.
Avec le ou la psychologue, cette rencontre avec moi-même, me donne, enfin, le sentiment de toute ma légitimité.